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Le ton est donné dès le titre : l'Euro est une catastrophe. Joseph Stiglitz est titulaire du « Prix Nobel » d'économie, il a été conseiller économique du président Clinton, puis économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale. Pas précisément le profil d'un europhobe . Son diagnostic impitoyable n'en est que plus intéressant. Parmi ses nombreux constats : les performances économiques de la plupart des pays de la zone euro sont moins bonnes qu'avant l'adoption de la monnaie unique. D'autre part, l'Union européenne a perdu tous ses référendums. Deux phénomènes qui fragilisent le projet européen.
Création de l'Euro : la malfaçon
Si l'Euro ne fonctionne pas, c'est dû, dit-il, à la décision fatale de créer une monnaie unique sans les institutions pour la faire fonctionner. Elle s'est construite dans un mélange de mauvaise science économique et d'idéologie perverse, ce qui a abouti à un échec économique et politique. Il est absurde d'avoir imposé la même politique économique à des pays très différents. Des économies faibles seraient forcément plus sensibles aux chocs , mais cela ne semble pas avoir été anticipé...
Si un tel système peut fonctionner aux Etats-Unis, c'est qu'on y trouve trois mécanismes d'ajustement : la facilité de migration entre états (langue commune, sentiment d'appartenance national), le soutien financier automatique de l'état fédéral, le système bancaire largement fédéral. Si le Dakota traverse une période difficile, ces trois mécanismes viendront l'aider. Rien de comparable en Europe : un émigrant le reste très longtemps ; le budget européen est minuscule ; et chaque pays est responsable de ses banques. L'Euro portait donc en germe son autodestruction. Et en effet, loin de créer la convergence, il a renforcé la divergence. Il a creusé le fossé des inégalités entre les pays qui y participent, mais aussi à l'intérieur de chacun de ces pays .
Des politiques inappropriées
En effet, à ces vices structurels se sont surajoutées des politiques qui ont aggravé le désastre. Une économie confrontée à une récession dispose de trois mécanismes principaux (...) : baisser les taux d'intérêt pour stimuler la consommation et l'investissement ; baisser les taux de change pour stimuler les exportations ; ou utiliser la politique budgétaire – augmenter les dépenses ou réduire les impôts. La monnaie unique a éliminé les deux premiers mécanismes, mais ensuite les critères de convergence ont éliminé le troisième. Dans de nombreux pays, ils ont même obligé les états à agir dans le sens diamétralement opposé.
Les politiques d'austérité ont provoqué la fuite des capitaux et de la main d'oeuvre des pays pauvres, deux phénomènes qui accentuent la divergence entre pays et qui augmentent le poids de la dette. Une politique industrielle aurait dû viser à combler l'écart technologique entre états européens, mais l'idéologie néolibérale s'y opposait. C'est également l'idéologie du laisser-faire qui a favorisé le laxisme bancaire, avec ses conséquences pour les dettes publiques. Pour les banques, on a préféré croire au conte de fée de l'autorégulation : autrement dit, on a fait semblant de croire que les banques se surveilleraient elles-mêmes. Finalement, les politiques de la zone Euro n'auront été un succès que pour les banques allemandes et françaises.
Un cas emblématique : la Grèce
Si Joseph Stiglitz n'y consacre pas un chapitre spécifique, c'est parce que la crise grecque traverse tout le livre. On a accusé le peuple grec de tous les défauts du monde, et la réfutation est ici rigoureuse. Par exemple : Il est utile de noter qu'en 2014, les Grecs, qu'on dit paresseux, ont effectué un nombre d'heures de travail supérieur de près de 50 % à celui des Allemands. En fait, la crise grecque a démontré que l'Union économique et monétaire n'est pas une association d'égaux, mais une agence de recouvrement de créances au bénéfice, notamment, de l'Allemagne. L'épisode a accentué la scission entre pays créanciers et pays débiteurs, le pouvoir politique étant aux mains des créanciers. Et la Grèce paie cher le sauvetage des banques prédatrices, par la spoliation des pauvres, qui n'y sont pour rien.
L'auteur ajoute que, normalement, les conditions dictées par les créanciers à des débiteurs en difficulté sont conçues pour accroître leurs chances d'être remboursés. La Troïka a fait le contraire, en conduisant le pays à la ruine. Cette aberration a de multiples explications : l'idéologie, l'incapacité à se dédire et à reconnaître qu'on s'est trompé, le refus de la réalité, mais aussi l'occasion saisie d'imposer à la Grèce un cadre économique impossible à obtenir par les urnes. On a réécrit les règles de l'économie de marché au bénéfice de quelques-uns. La Banque centrale européenne, par exemple, a obligé les états à assumer les dettes de leurs banques, ce qui est contraire aux lois ordinaires du capitalisme : l’État n'intervient pas tant que les actionnaires n'ont pas donné tout ce qu'ils pouvaient.
Le diable gît dans les détails. Et quels détails ! Les Grecs adorent leur lait frais, produit localement et livré aussitôt. Mais en 2014, la Troïka a imposé la suppression du mot frais sur les étiquettes, avec pour effet d'ouvrir le marché grec au lait hollandais. L'augmentation de la tva sur l'activité touristique visait à alimenter les caisses de l’État grec ; en dissuadant les touristes, il aura l'effet inverse. Mais la palme de l'aberration revient sans doute à la mesure imposée aux PME, qui constituent plus de 80 % de l'économie grecque, de payer leurs impôts un an à l'avance, ce qui est une puissante barrière à l'entrée en activité.
Résumons : si la Grèce est en dépression, ce n'est pas parce qu'elle n'a pas fait ce que l'Eurogroupe lui demandait de faire, mais parce qu'elle l'a fait. Toujours et partout, l'austérité a échoué. On se demande bien pourquoi la Troïka a pensé que, cette fois, ce serait différent...
Y a-t-il des solutions ?
Quatre chapitres du livre sont consacrés aux issues possibles à cette crise de l'Euro. L'Euro peut très bien fonctionner, nous dit Stiglitz, et il énumère les réformes nécessaires. Mais il ajoute que la position de l'Allemagne est un obstacle majeur : pour elle, la zone Euro n'est pas une union de transferts.Si cela ne change pas, un divorce (monétaire) à l'amiable ne serait pas la fin du monde. Car le projet européen est trop important pour qu'on laisse l'Euro le détruire. Une seule chose est néanmoins certaine : le statu quo n'est plus possible.
Même s'il est d'une lecture aisée, il est difficile de rendre, en quelques lignes, la richesse de ce livre de 400 pages. Un conseil : lisez-le.
Michel Brouyaux (ancien libraire et lecteur passionné et passionnant)
Paru en septembre 2016 - existe aussi en format numérique.
Les essais sur la vie politique et économique de nos sociétés sont nombreux pour l'instant et ça tire dans tous les sens, difficile de faire un tri. Le livre "Sortir de l'impasse" m'a fait de l’œil et bien m'en a pris car voici une lecture instructive et vivifiante.
Ces dernières semaines, je me suis plongée dans plusieurs essais et j'ai été parfois frappée du caractère fort "français" du contenu, la lecture reste intéressante mais de nombreuses références m'échappent lorsque des abréviations que je ne connais pas son utilisées à tout va. Ici, ce sont à nouveau des économistes principalement français qui s'expriment mais le propos est universel, les réflexions sont facilement transposables au contexte belge notamment.
Dans ce livre il est question d'allocation universelle, de libéralisation du marché de l'énergie, de réduction du temps de travail, de l'industrie, de dette publique, d'évasion fiscale, de l'Europe, de salaires des grands patrons... bref, c'est large et extrêmement intéressant, tout en étant très abordable en terme de lecture. Il y a clairement un parti pris qui remet en question le libéralisme mais sur un même sujet, plusieurs personnes s'expriment, ce qui permet une diversité de points de vue.
Au-delà des constats posés, ce sont toute une série d'alternatives qui sont proposées pour "sortir de l'impasse" et réenchanter l'avenir économique. Des changements sont possibles, à nous de les mettre en place.
Catherine M
Paru en octobre 2016 - existe aussi en format numérique.
Le trail, la course au grand air... voilà un sport à la mode que certains pratiquent un peu à la librairie (on vous laisse deviner qui). Alors pour les aficionados des baskets, voici un superbe livre, propice à l'évasion.
"Les plus beaux endroits pour courir" est une invitation aux voyages natures, découvertes... Idéal pour les sportifs, les trailers mais aussi pour les randonneurs qui s'évaderont à travers les pages de ce livre et trouveront peut-être des nouvelles idées de lieux où partir se ressourcer. Les photographies sont très réussies et les textes agréables à lire, écrits avec humour aussi. Seul hic, cela risque de vous donner des envies de partir à l'autre bout du monde.
Et pour prolonger le plaisir, si vous avez l'habitude de courir avec un fond sonore, pourquoi ne pas tentez un audio livre? De plus en plus de romans ou d'essais sortent sous format audio, lus par de véritables comédiens professionnels et c'est un vrai plaisir. Partez sur les routes de Russie avec "Berezina" de Sylvain Tesson, à Naples avec "L'amie prodigieuse" d'Elena Ferrante ou osez un polar comme "Le fils" de Jo Nesbo. Un inconvénient toutefois, les livres audio sont encore assez onéreux (entre 20-25€).
L’écriture si belle de David Vann nous plonge dans le cœur palpitant de Caitlin, petite grande fille aux prises avec une mère aimante rendue brutale par ses souvenirs d’enfance qui, tout à coup, remontent à la surface. Enfant aux premières marches de l’adolescence, Caitlin cultive un monde intérieur et des secrets pleins de chaleur et de vie, qui la protègent face aux sursauts de folie de sa maman. Et Caitlin a aussi un allié, marqué mais déterminé.
Vann manie les atmosphères et les images avec art. Il nous immerge dans un centre aquatique où le monde étrange de la vie sous-marine renvoie aux humains son miroir doux-amer. Ce faisant, Vann nous ensorcelle dans ce roman qui nous secoue dans tous les sens mais nous amène vers une issue pleine d’espoir.
David Vann est également l’auteur du très remarqué Sukkwan Island, de Impurs et de Goat mountain.
Natacha
Paru en octobre 2016, traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Laura Derajinski.
En ce moment, dans les livres sur l'école, l'éducation et la pédagogie, cela bouillonne. A tout moment, nous nous attendons à voir les volumes du rayon "école" sortir de leur armoire et brandir des calicots pour réclamer d'autres pratiques en matière de politiques scolaires.
Au-delà de la boutade et du phénomène de société, voici un livre qui nourrit assurément la réflexion sur l'école en proposant un radical changement de regard. Pour peu que l'on passe au-dessus de la tonalité "américaine" et parfois sans nuances, on se nourrira richement du propos.
L'auteur commence par témoigner de sa propre expérience de parent, le parent d'un adolescent qui rejette et que rejette l'école. Il se penche sur les ressources éducatives du jeu et en particulier du jeu en autonomie, hors du contrôle des adultes. Il appuie ses dires sur des recherches scientifiques et les illustre en nous parlant de l'école de Sudbury Valley. Il remonte aussi dans l'histoire de l'humanité et de son rapport à l'apprentissage, avec un point de vue qui peut sembler partial mais dont qui a l'avantage de nous inviter à décaler notre regard.
Aucun livre n'est neutre et tous s'appuient sur un système de valeurs : à nous de resituer le nôtre en les lisant. Pour ma part, j'ai trouvé ce livre nourrissant, inspirant et vraiment différent de ce que j'ai pu lire ailleurs à ce sujet. L'écriture est par ailleurs fluide et agréable à lire.
Natacha
Parution octobre 2016.
Kitty Crowther est une artiste reconnue et saluée, en particulier pour ses albums dédiés à la jeunesse : Poka et Mine, Scritch scratch dip clapote, Le petit homme et Dieu, La visite de petite mort, Mère Méduse etc. Elle nous a offert en 2016 un magnifique album consacré au peintre Jan Toorop.
Le livre dont il est question ici est une longue conversation où Kitty se raconte et raconte tout ce qui a tissé son rapport au monde et nourrit sa création. Et, comme ses albums, le résultat est magique, nourrissant, désaltérant pour l'âme et pour le créateur qui sommeille en chacun de nous. C'est aussi une très belle porte d'entrée dans son œuvre et cela donne envie de relire tous ses albums et de les partager avec les enfants.
A propos de mes deux personnages Poka et Mine, on me demande sans cesse s'ils sont des insectes, et si oui, lesquels. Je réponds que je ne sais pas et qu'il existe cinq millions d'insectes sur la terre dont certains n'ont pas de nom. J'ai envie de dire à mes lecteurs : "Habituez-vous à ne pas tout contrôler dans votre tête. La réalité est incontrôlable."
Ponctué d'illustrations et de photos, ce livre peut se lire d'une traite ou se picorer.
Natacha
Paru en octobre 2016.
Â
Berezina est le titre d'un roman de Sylvain Tesson, paru en 2015 aux éditions Guérin. Dans ce livre, Tesson raconte son périple de Moscou à Paris sur la route empruntée par napoléon lors de la défaite de Russie. Il nous livre ainsi un formidable récit de voyage à travers les plaines de Russie, les pays baltes mais aussi une vraie leçon d'histoire. En effet, au fil du voyage, Tesson évoque les mémoires de Napoléon et de ses conseillers et nous raconte la défaite de Russie, c'est passionnant. Par ailleurs, traverser ces pays sur des side-care soviétiques de l'époque, coiffé du bicorne napoléonien, accompagnés par quatre amis (russes et français) c'est toute une aventure humaine notamment et cela donne aussi un récit plein d'humour.
Gallimard a cette année eu l'excellente idée de re-publier ce récit dans une belle édition, accompagnée de 100 photographies de Thomas Goisque, un de comparses de Tesson au cours de ce voyage. Et le résultat est magnifique. Voici un livre à savourer que ce soit pour le texte ou les photographies. Pour les amoureux d'histoire, de voyage, de grand espaces, d'aventures...
Catherine
Paru en octobre 2016
Une fois de plus, Sylvain Tesson nous emmène dans ses bagages pour un extraordinaire voyage. Avec "Dans les forêt de Sibérie" Tesson nous a emmenés dans le grand Nord, "Berezina" nous a entraînés sur les traces de Napoléon de Moscou à Paris. Dans ce dernier livre, ce sont les chemins de France qui sont explorés, tout simplement. Mais pas n'importe quels chemins. Tesson est parti du Mercantour pour rejoindre la Bretagne en tentant de marcher sur les petits chemins broussailleux, oubliés, peu fréquentés, non goudronnés. Il nous décrit sa route, ses nuits sous les chênes, ses compagnons qui le rejoignent de temps à autre. Il nous parle du monde qui se transforme, il questionne la modernité. Et le tout est écrit avec une langue qui se déguste.
Ce livre fait suite à un événement marquant dans le vie de l'auteur, une chute qui lui a valu un coma et plusieurs mois d'invalidité. C'est aussi un voyage intérieur qu'il mène évidemment, un voyage empli de sagesse.
"Le France changeait d'aspect, la campagne de visage (...) Une chose était acquise, on pouvait encore partir droit devant soi, battre la nature. Il y avait encore des vallons où s'engouffrer sans personne pour indiquer la direction à prendre (...) Il fallait les chercher, il existait des interstices."
Catherine M
Paru en octobre 2016 - existe aussi en format numérique, et paraîtra en format audio en mars 2017.
Hommage aux explorateurs et véritable invitation au voyage, ce très beau livre remet à l'honneur les carnets de voyage de ces hommes et femmes aventuriers qui ont pour point commun d'avoir exploré les contrées inconnues, habités par la curiosité et portés par l'esprit d'aventure. Y sont présentés les carnets de 70 explorateurs depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, certains connus, d'autres tombés dans l'oubli, qui font part de voyages dans toutes les régions du monde. Autant de témoignages sous forme de journal écrit ou de dessins, autant de traces de leur expériences qui s'avèrent étonnantes et touchantes. On y redécouvrira les missions de grands explorateurs comme Roald Amudsen, Abel Tasman ou Charles Darwin, et on découvrira aussi les explorations de femmes pionnières telles que Adela Breton et Alexandrine Tinne.
Le livre, imprimé à l'italienne, est comme toujours chez Paulsen, très soigné : belle iconographie et papier de qualité.
A la lecture de ces pages, on ne peut qu'être emporté par le goût du voyage... Un voyage à travers le temps et l'espace à déguster par petites bribes.
Delphine
Octobre 2016
Pour cette adaptation en bande dessinée, Eric Corbeyran s'est emparé du puissant roman de Sorj Chalandon, paru en 2013, "Le Quatrième mur". Sorj Chalandon fait partie de ces romanciers contemporains qui puisent leur inspiration dans leur expérience de journaliste, et modèlent des histoires aussi fortes et âpres que la réalité mais toujours très justes.
Adapter cet excellent roman en roman graphique relève du défi, mais selon moi, il est réussi. On retrouve dans ces pages illustrées avec le trait aiguisé de Horne, à l'encre de Chine, toute l'intensité du roman original, sa gravité. Si certains passages sont forcément éludés ou absents de la BD, faute de place, le fil narratif est fidèlement restitué et les personnages ont de la consistance. On y retrouve Samuel, cet inspiré artiste juïf d'origine grecque, porté par son idéal de paix, le très engagé Georges, ami fidèle du premier, qui accepte par amitié la mission que lui confie son ami : monter à Beyrouth, en pleine guerre civile (nous sommes en 1982), la pièce "Antigone" d'Anouilh, avec des comédiens issus de tous les camps en conflit dans cette guerre. Le lecteur est porté par ce projet fou et utopique transcendé par l'espoir, se met à rêver avec les personnages, à trembler aussi. Car, à l'image de la pièce d'Anouilh et du destin d'Antigone, on peut à tout moment basculer dans la tragédie.
Un sujet très fort et une belle entrée dans l'oeuvre de Sorj Chalandon, pour ceux qui n'auraient pas encore lu le livre. Roman que l'on vous conseille bien entendu chaleureusement !
Delphine
Octobre 2016
Coup de projecteur sur René Magritte : ce peintre belge surréaliste est remis à l'honneur cette année avec une grande exposition qui se tient à Paris cet automne.
A la demande des Editions du Lombard, Vincent Zabus a scénarisé un très bel hommage au peintre, avec un oeil amusé, et a proposé à son complice depuis quelques albums, Thomas Campi, de mettre la bande dessinée en images. Un excellent choix puisque le dessin pictural de Campi colle tout à fait à l'univers de Magritte.
Cet album nous fait revisiter l'oeuvre de Magritte à travers les déboires d’un personnage de fiction, embarqué malgré lui dans l’univers du peintre.
Une bande dessinée inventive, truffée de références picturales, qui nous questionne sur la place de la fantaisie dans notre vie et qui renoue avec « l’esprit Magritte ».
Delphine
Novembre 2016
Guy Delisle n'a plus à faire ses preuves dans le domaine des BD-reportages. Dans ce nouveau roman graphique, il nous raconte l'histoire vraie de Christophe André, comptable dans une ONG dans le Caucase, kidnappé et pris en otage en juillet 1997 par des activistes tchétchènes. Au fil des 400 pages de ce dense volume, on vit l'attente avec Christophe André, terriblement bien restituée. Une attente qui a duré 111 jours. Autant de jours seul dans une pièce, menotté à un radiateur, de journées rythmées par le passage de ses geôliers lui apportant eau et nourriture, trois fois par jour. Autant d'heures à ne rien faire, à part gamberger : quand sera-t-il libéré ? L'ont-ils oublié, à Paris ? Survivra-t-il à cette expérience ? La tension est énorme, l'attente fébrile, et l'empathie avec le personnage de plus en plus forte.
Guy Delisle signe un récit très fort, intense, et surtout très juste, servi par un dessin sobre et épuré, dans des teintes bleu-gris assez glaçantes. Une belle réussite et aussi un bel hommage à ces hommes et femmes engagés dans l'humanitaire qui bravent les dangers de régions instables.
Delphine
Septembre 2016
Ce thriller débute dans une prison suédoise. On va y passer quelques chapitres aux côtés d'un jeune garçon, Sonny, personnage très énigmatique. Accro aux stupéfiants, il a plusieurs crimes sur le dos mais on sent vite qu'il n'est pas vraiment à sa place. Il est le protégé de plusieurs personnes dans la prison. Du côté des enquêteurs, on ne retrouve pas l'habituel inspecteur Harry Hole mais bien Simon Kefas, proche de la retraite (et traînant pas mal de casseroles) et la stagiaire Kari Adel.
Excellent portrait de l'univers carcéral, chasse à l'homme, règlements de compte divers, secrets de famille, etc. : ce livre est truffé de bons ingrédients et le résultat de la recette est excellent. L'histoire se tient jusqu'au bout du livre car plusieurs intrigues s’entremêlent, on se balade dans Oslo, on découvre des personnages tous fort intéressants, bien construits, quelle réussite ! Ce livre est paru il y a déjà un an, mais je ne l'ai découvert que récemment et c'est franchement un polar à côté duquel il ne faut pas passer.
Catherine
Paru en octobre 2015, traduit du norvégien par Hélène Hervieu - existe aussi en livre audio et en format numérique.
Brillant, intelligent, passionnant, le génialissime historien David Van Reybrouck nous revient avec un texte très court mais bouillonnant de réflexions.
Dans Zinc, Van Reybrouck nous raconte l'histoire d'Emil Rixen, né au début du XXe siècle à Moresnet, petit village actuellement situé dans la Province de Liège. Rixen va changer cinq fois de nationalité, sans pour autant déménager. Il combattra sous l'armée allemande mais également sous l'armée belge et aura une kyrielle d'enfants. A travers le récit de la vie de cet homme que les frontières traversent, ce livre propose notamment de réfléchir à la notion de frontière (bien à propos ces jours-ci). C'est aussi un petit bout de l'histoire de Belgique qu'on découvre et ça se lit comme un roman. Merci David Van Reybrouck de rendre l'histoire si attrayante ! A lire, à conseiller sans hésiter pour un large public.
Catherine
Paru en novembre 2016, traduit du néerlandais (Flandre) par Philippe Noble - existe aussi en format numérique.
Ivan Jablonka signe un magnifique récit, à la frontière de plusieurs genres, pour rendre toute sa dignité à une jeune fille de 18 ans assassinée près de Pornic en janvier 2011.
Sous la photo de Laëtitia placardée d'abord comme avis de recherche puis comme illustration de nombreux reportages après la découverte de son corps, les mots sont terribles : coups, viol, meurtre, démembrement. L'histoire racontée l'est tout autant : placée avec sa sœur jumelle d'institutions en foyers,elle a perdu des parents qui ne sont pas parvenus à les protéger, elle et sa sœur, ni d'eux-mêmes ni des autres.
Ivan Jablonka, écrivain mais aussi historien, va rendre la parole, redonner la place qui lui revient à Laëtitia, à travers ses textos, ses commentaires sur les réseaux sociaux mais aussi grâce aux témoignages de ses proches, sa sœur, son père , son parrain, ses amis.
Le portrait qui se dessine est celui d'une jeune fille, bien sûr fragile, mais aussi et surtout d'une amoureuse de la vie qui s'en sortait de mieux en mieux: travail stable, amis, amours. D'elle,la France a beaucoup entendu parler parce qu'elle incarnait ce terrible sort fait aux femmes, se faire frapper, se faire violer, se faire tuer mais aussi parce que le Pouvoir, avec une majuscule, mais toujours celui des hommes, a choisi de faire de ce sort un exemple de laxisme des magistrats : son assassin est un récidiviste que la Justice n'a pas gardé sous les verrous. Nicolas Sarkozy a dénoncé avec force le manque de sévérité , engrangeant ainsi les opinions favorables des tout sécuritaires.
Laëtitia était tellement plus complexe, plus subtile, plus vivante que tous ces clichés, merci à Ivan Jablonka de nous l'avoir rendue si proche...
Véronique Gillion (ancienne libraire, toujours lectrice)
Paru en septembre 2016 - existe aussi en format numérique.
Quel plaisir, pour les aficionados d'Elizabeth George, de retrouver, dans un excellent cru, le tandem de Scotland Yard, le vicomte Linley et l'inspectrice Havers !
Au mieux de sa forme, l'auteur nous entraîne dans l'histoire, certes glauque à souhait (c'est un polar, quand même !) de Caroline, quinquagénaire haute en couleurs, mère endeuillée, assistante d'une célèbre écrivaine féministe retrouvée assassinée. Cette Caroline est horripilante mais est-elle pour autant coupable de ce crime ?
A côté de l'intrigue, finement construite, le lecteur retrouve (ou découvre) avec délectation le duo Linley, aristocrate / Havers, prolétaire assumée, leur entente, leur côté si british, l'un absolument chic, l'autre indécrottablement fish and chips...
Un régal, vous dis-je !
Véronique Gillion (ancienne libraire mais toujours lectrice)
Paru en septembre 2016, traduit de l'anglais par Isabelle Chapman - existe aussi en format numérique.
Gallimard vient de sortir une compilation de quinze portraits BD décalés mais véridiques réalisés par Pénélope Bagieu pour le blog du journal Le Monde.
Le point commun de ces portraits : ils sont tous consacrés à des femmes qui ont pris en main leur destin pour ne faire que ce qu'elles voulaient. Des femmes qui réclament le droit d'être pleinement femmes, avec leurs différences et leur identité propre, et qui ont aidé à l'émancipation de la femme, à leur manière.
Avec son mordant caractéristique et son coup de crayon hyper expressif, la culottée Pénélope Bagieu nous raconte la vie authentique de ces femmes qui ont plus ou moins marqué l'Histoire à travers les âges (certaines sont très célèbres, d'autres ont été beaucoup plus oubliées). On traverse les époques, les continents, on découvre des histoires amusantes, d'autres plus graves, on apprend plein de choses et on rit beaucoup mais on ne perd pas de vue la cause féminine qui est le fil rouge et le fer de lance de ce roman graphique. Une belle réussite !
Delphine
Paru en septembre 2016
Quelle épopée! L'histoire se déroule en 1917, dans le centre des Etats-Unis. Le pays est aux portes de la modernité, les voitures côtoient les cavaliers sur les routes, les revolvers sont encore dans toutes les poches et on n'hésite pas à dégainer. La misère est le lot quotidien d'une partie de la population, les inégalités de richesse, d'éducation sont criantes. Dans cet univers explosif socialement, trois frères (sur)vivent avec leur père en gagnant un salaire de misère en travaillant au champ pour un riche propriétaire. Fervent catholique, le père leur promet le banquet céleste après leur mort. Mais quand celui-ci s'écroule un beau matin, les fils n'ont pas vraiment envie d'attendre la rédemption finale et décident de suivre une autre voie.
Ils deviennent de vrais desperados, bien malgré eux. En voulant améliorer leurs conditions de vies, ils se retrouvent dans les embrouilles jusqu'au cou. Et, alors qu'ils sont devenus de vrais gangsters, on ne peut s'empêcher de s'attacher à eux. Ce livre est à la fois violent et drôle. Il a un côté western mais est aussi empli d'humanité, d'amour fraternel. Et c'est un magnifique portrait d'une époque. Un tout bon roman américain qui confirme que Donald Ray Pollock est un des grands romanciers américains du XXIième siècle.
Catherine M
Paru en octobre 2016, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard - existe aussi en format numérique.
Drogue, violence, misère. Tel est le quotidien du ghetto de "Gaza" à Mayotte, no-man's land peuplé de migrants, de clandestins, pour la plupart des enfants abandonnés à leur sort par leurs parents. Mayotte, île de l'Océan Indien, est pourtant une colonie française. Mais la pression migratoire y est telle que beaucoup de migrants sont livrés à eux-mêmes et tentent de survivre par leurs propres moyens, dans la rue, en subissant la loi des gangs.
Moïse est un nourrisson quand sa maman l'abandonne aux soins d'une infirmière française, en mal de maternité. Elle l'élèvera avec amour, jusqu'à ce que Moïse apprenne l'histoire de ses origines. Il basculera rapidement dans l'autre monde, celui qu'il n'aurait pas dû quitter, attiré par les bandes de voyous qui sont ses frères de sang. Et y découvrira l'enfer.
D'un rythme enlevé, à l'aide d'images fortes, l'auteure malgache Nathacha Appanah nous parle de cette île qu'elle connaît bien pour y avoir habité. Dans ce roman polyphonique, les voix s'entremêlent avec puissance, celles des vivants et des morts, et toutes semblent appeler à l'aide d'un même souffle.
Un roman puissant, sombre, souvent dur, servi par une écriture dense et colorée.
Delphine
Paru en août 2016 - existe aussi en format numérique.
Miles Hyman a mis beaucoup de son talent et de son coeur à l'adaptation en BD de la nouvelle de sa grand-mère, Shirley Jackson, nouvelle qui fit grand bruit lors de sa parution en 1948 dans le New York Times. Il faut dire que la chute de ce texte était assez terrible et que beaucoup d'Américains en furent choqués à l'époque...
C'est le début de l'été, le 27 juin précisément. Les quelques familles d'un petit hameau de Nouvelle-Anglettere se préparent au rituel annuel de la loterie, avec une excitation mêlée d'appréhension. L'enjeu de la loterie ? C'est tout l'objet de l'intrigue qui sera dévoilé dans la chute finale... Mais ce que Miles Hyman a réussi à dépeindre avec brio, c'est l'ambiance des heures qui précèdent cette chute. Avec ces pages qui prennent le temps de la langueur d'un jour d'été, ces silences qui alourdissent l'ambiance peu à peu, ces grandes images figées sur l'un ou l'autre moment du jour, Miles Hyman décrit l'attente avec une efficacité redoutable. Et pour ne rien gâcher, le résultat est d'une beauté rare : les planches semblent tout droit sorties des tableaux de Denis Hopper, avec de profondes couleurs, des portraits presque picturaux, des images très fortes. La tension monte réellement jusqu'à la chute. Saisissante.
Une bande dessinée à couper le souffle...
Delphine
Paru en septembre 2016.
Découvrez la Corée du Nord à travers les yeux de Jun Sang, ce petit garçon de huit ans qui a l'immense honneur de fêter son anniversaire le même jour que Kim Jong-Il, demi-dieu et maître de la Nation. Une aubaine dans un pays où l'on ne célèbre jamais les anniversaires, à part celui de leur leader : ainsi, le jeune garçon a chaque année le sentiment que c'est lui qu'on fête...
Dans un premier temps, le petit Jun Sang, endoctriné par la propagande, n'aura de cesse de défendre sa patrie, son leader qui veille sur leur destin, ses héros de guerre, tout en haïssant leurs ennemis jurés : les "fantoches de Corée de Sud" et les "chiens d'Américains". On découvre alors avec un oeil intrigué le quotidien des enfants sous ce régime, leurs loisirs, bien maigres, leurs tâches, parfois bien lourdes et absurdes, mais aussi un grand enthousiasme propre à l'innocence de l'enfance : Jun Sang aime sincèrement et naïvement son pays.
Mais petit à petit, le regard de Jun Sang va changer, passant de l'admiration à la déception, à l'angoisse : la famine impose sa loi en Corée du Nord, la famille de Jun Sang tente de fuir, sans succès... Ils sont rattrapés et internés dans un camp de prisonniers. Sous le vernis, Jun Sang découvre le vrai visage de son pays, celui de la dictature.
Aurélien Decoudray, scénariste et journaliste de formation, parvient à créer l'ambiance, à camper ses personnages, à restituer le régime de Corée du Nord avec précision et efficacité. Le dessin sobre de Mélanie Allag, avec ses décors simples, ses visages ronds presque caricaturaux, son expressivité, nous aide à voir avec les yeux d'un enfant. Le résultat est surprenant : captivant et terrifiant à la fois. Un vrai documentaire pour tous ceux qui veulent en savoir plus sur les régimes dictatoriaux et sur la Corée du Nord.
Delphine
Août 2016
"Etunwan" ou "Celui-qui-regarde". C'est ainsi que les Indiens Sioux Oglalas baptisèrent Joseph Wallace, photographe de profession, lorsqu'ils firent sa connaissance en 1867 dans les Montagnes Rocheuses. Joseph Wallace y accompagnait une expédition scientifique chargée de faire le relevé cartographique de la région. Il y a été subjugué par l'immensité des paysages de cet Ouest américain et marqué par la rencontre avec ces tribus indiennes qui lui laissait entrevoir un autre monde que le sien, fait de traditions ancestrales et régi par les lois de la Nature.
Car il s'agit bien de la rencontre de deux mondes dont il est question dans ce roman graphique : la civilisation américaine en plein développement industriel et démographique, et la civilisation indienne, malheureusement déjà en voie de disparition. Joseph Wallace est frappé par les différences entres les deux univers et touché par le mode de vie des Indiens. Il décide de les immortaliser par la photographie, son métier. Entre 1867 et 1869, il monte plusieurs expéditions dans les Rocheuses, afin de rester en contact avec les Sioux et de mener à bien son projet. Il en ramène quantités de photographies qu'il essayera de faire exposer et publier.
L'histoire de Joseph Wallace a été imaginée par Thierry Murat. Pourtant, ce personnage de fiction paraît authentique et nous touche par son projet, son parcours et les réflexions sincères qu'il nous livre à travers ce livre narré à la première personne. On apprend aussi beaucoup sur l'histoire et la disparition des civilisations indiennes d'Amérique et sur l'histoire de la photographie.
Avec son dessin sublime dans les teintes sépia, relevé par des noirs profonds à l'encre de Chine, Thierry Murat a réussi à restituer l'ambiance en clairs-obscurs des clichés photographiques de l'époque où la photographie en était à ses premières heures. Un réel charme se dégage de ces pages aux images superbes, aux longs silences et à l'émotion palpable. Un vrai coup de coeur !
Delphine
Paru en août 2016.
Dans ce très beau roman, on suit le personnage de Wendy (13 ans), subitement confrontée à la disparition de sa mère dans les attentats du 11 septembre à Manhattan. Ayant des difficultés à continuer à vivre "comme avant", ne sachant pas comment gérer son propre deuil et celui de ses proches, elle saisit l'occasion que lui offre son père de le rejoindre en Californie. À l'autre bout du pays, elle apprendra à connaître ce père (jusque là plutôt absent, mais idéalisé par l'adolescente).
Maynard nous offre encore une fois des personnages très bien campés et une histoire remplie d'émotion, que l'on dévore avec un plaisir plein de larmes.
Hélène
Rentrée littéraire août 2016, traduit de l'américain par Isabelle D. Philippe - Existe aussi au format numérique
Le petit pays de Gaël Faye, c'est le Burundi. C'est aussi celui de Gabriel, ce garçon né dans les années 1980 de l'union d'un Français et d'une Burundaise, à Bujumbura.
A travers les yeux de cet enfant, on découvre avec plaisir le Burundi d'avant, celui du bonheur, de l'insouciance, des amitiés fortes, dans l'ambiance parfumée de son quartier qui a des allures de petit coin de paradis.
Mais on plonge aussi avec effroi dans le Burundi d'après-le-bonheur : zones d'ombres, trahisons, tensions grandissantes entre ethnies Hutus et Tutsis, jusqu'à l'horreur du génocide. Comment un enfant voit son monde basculer, passer de la douceur à la douleur.
Un texte vibrant, fort, parfois dur, inspiré du vécu de Gaël Faye, cet auteur-compositeur-interprète qui nous signe de sa plume sincère un premier roman touchant. Voilà qui ne laissera personne indifférent.
Delphine
Rentrée littéraire août 2016 - Existe aussi au format numérique
David Treuer a grandi dans une réserve indienne dans le nord du Minnesota et n’a de cesse de conter les conditions de vie des Amérindiens dans ses écrits. Roman choral, Et la vie nous emportera ne déroge pas à la règle et livre une magnifique histoire où s’entremêlent des thèmes aussi forts que le tabou de l’homosexualité, l’inégalité raciale, les amours impossibles, la guerre, ...
Eté 1942. Frankie vient passer ses dernières vacances dans la résidence estivale de ses parents, située en bordure d’une réserve indienne, avant d’intégrer l’armée. Il y retrouvera, outre ses parents (mère étouffante, père distant), Félix, le vieil indien homme à tout faire du domaine, et Billy, jeune homme métis auquel le lie une amitié très forte et particulière. A peine arrivé, un incident tragique va bouleverser leurs retrouvailles et avoir des conséquences dramatiques pour chacun des protagonistes.
Très fort, très juste dans ses descriptions des sentiments ambigüs qui animent tous ses personnages, David Treuer parvient à nous emporter dans un récit empreint de mystère et de secrets. Un roman sombre, mais non dénué de purs moments de légèreté.
Catherine D.
Paru en août 2016, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Lederer - Existe aussi en format numérique