Le classique du mois
L'étrange destinée d'un écrivain anglais dans les Alpes valaisannes, en 1930, sur les traces du célèbre personnage créé par James M. Barrie. Ecrivain renommé, Melvin Z. Woodworth, pressé par son éditeur, a décidé de retourner sur les lieux où son frère a disparu, dans l'espoir de trouver de l'inspiration pour son prochain roman. A priori, il n'y a pas de quoi titiller l'attention d'un amateur de récit d'aventures. Mais en fait, Cosey intègre plusieurs éléments d'ordre romanesque, comme un trafic de fausse monnaie, un fuyard, un individu qui rôde la nuit dans le Grand Hôtel fermé pour la saison et qui y joue des airs au piano, une mystérieuse jeune femme qui se baigne dans une source chaude, un village qui aurait disparu.
Il évoque également le syndrome de la page blanche chez l'écrivain, et la situation financière précaire qu'il provoque. Au travers de l'histoire personnelle de Melvin, il parle aussi de migration, de la distance qui sépare les membres d'une même famille. Le lecteur peut trouver comme un écho de ces thèmes dans l'exode imposé des villageois d'Ardolaz, le petit village siège de notre intrigue, devant abandonner leurs racines et quitter leur foyer. Il y a finalement des thèmes sous-jacents assez graves dans le récit, même s'ils ne prennent jamais le pas sur l'histoire racontée.
Et Peter Pan dans tout ça ? Il y a déjà les citations de James M. Barrie en ouverture de chaque chapitre qui sont toutes extraites du livre Peter Pan. Peut-être que Melvin est effectivement à la recherche de son frère qui semble avoir vécu son rêve d'enfance ? Peut-être est-il à la recherche d'une vie romanesque qui lui éviterait d'être adulte, de faire face à ses responsabilités ? Ou peut-être que plus simplement Melvin est un individu qui trouve du plaisir dans l'expérience de la vie, sans réelle implication de sa part ?
Cosey, en amoureux des sommets enneigés, fascine dès la première planche, alternant, comme à son habitude, dialogues et longs silences hypnotiques. Ce livre est assez contemplatif, un peu poétique, le temps est comme suspendu. Les illustrations de montagne sont toujours aussi grandioses. L'ambiance, les décors, l'inquiétant glacier, le ton feutré, intimiste, tout se met au service de la montagne, de cette région suisse. Et au fur et à mesure l'ambiance devient plus sensuelle, plus rythmée, l'action se réveille pour un final en apothéose.
En 1984, les éditions du Lombard avaient fait pression pour que Cosey se consacre à Jonathan, sa série fétiche, plutôt qu'à ce projet. Pourtant les lecteurs, vont se précipiter sur “À la recherche de Peter Pan”. Ce succès inattendu provient sans doute du fait que Cosey proposait quelque chose de nouveau dans l'univers de la bande dessinée, où l'aventure passait au second plan derrière la nature, la montagne, le folklore. C'est presque une bande dessinée ethnologique, naturaliste et poétique, un “roman graphique”.
Olivier C

